Elle est assise, elle la première de la liste de cette centaineappartements
Habités d'âmes plantées là sans l'avoir souhaité… C'est une histoire de mots,
De mots à mettre sur ces images et sur la potentialité des hommes à vivre
Le minima, au mieux, avec les moyens du bord. Jeparle de pauvreté,
De la pauvreté tout simplement… Qu'il est surprenant de voir autant de sièges
Dans un si petit local : trois chaises et plusieurs tabourets. Probablement
Avec ça peut-elle recevoir des visiteurs, de la famille et ne pas souffrir de
Solitude. Seulement, elle tient à garder son intimité ensauvegardant du
Regard d'autrui ses deux lits superposés recouverts d'un rideaude fortune
Fait maison à n'en pas douter. Sur la table, elle a tout ce qu'il faut pour vivre,
Un bol, une tasse à thé avec couvercle, un "cuit tout vapeur" pour le riz,
Une bouilloire, une télé, une montre pour savoir l'heurequ'il fait, c'est
Important le temps, le matin, le soir, la nuit … Derriere elle,
Des affaires personnelles, des fleurs plastiques et des photos
Accrochées pour se souvenir d'un autre temps, d'un passérepérable.
À tous, le photographe a demandé de poser devant l'objectif.
Chacun à sa façon s'y soumet sans difficulté. Dans cette maison,
Tout est bien rangé, le ventilateur a une place prépondérante et les
Bouches d'aération ne sont pas obturées parun placard comme dans
La précédente image. Cet homme vit et dort sans personne à côté de lui,
Voyez, seul le lit du bas est utilisé, celui du haut, a priori, sert de réserve,
De lieu de rangement. Nous voyons la télé allumée, deux sièges, un
Tabouret, la fameuse cocotte universelle, des bols àlégumes, à viande
Ou à riz, sur le mur des photos de famille et des icônes religieuses, le tout
Posé sur un lino plastique récent achetédans une boutique très clean.
La mise en place pour cette photo est toute autre.
L'actrice prend une posture, elle attend que quelque chose se passe, lui,
Il lui demande de ne penser à rien, alors elle pense qu'elle vapartir de là,
Il vient vers elle et la regarde en face, il hésite avant de faire la prise, elle
Veut déménager, aller rejoindre ses enfants. Mais comment faire, avec
Quel argent ? Me donnera-t-il la pièce cemonsieur avec son appareil ?
Toute sa richesse à cette pauvre dame est là en paquets,en tas, à terre.
Les lits superposés n'ont pas de matelas. Une échelle est posée sur le mur
Qui n'attend ni les peintres ni personne d'autre, elle s'en fout et dumur et
De tout, elle est vieille maintenant et se soumet à la vie comme elle se
Soumettra à la mort. Et nous ? Nous, ses semblables…
C'est peut-être sa fille, à la dame de la photo de tout àl'heure,
Plus jeune, plus joyeuse, avec une vie de couple puisque le lit du
Bas est de deux personnes et celui du haut, probablement affecté
Aux enfants. Ils ne sont pas là, ils jouent dehors ou sont àl'école,
L'homme, lui, travaille dans une usine et elle, s'occupe de sa maison.
Ici, c'est un monde clos, pas de fenêtres, ni là, ni dansles autres
Chambres de ce couloir, de cet immeuble, ce sont comme des caves
Avec ces bouches d'aération pour le renouvellement de l'air. tout est
Rouge, et je me demande à quoi correspond cette couleur pour elle ?
Je suis la fatalité personnifiée. Je suis assise là, c'est mon lit,
Je dors ici, quand j'arrive à dormir, car dans cet immeuble le bruit des
Autres est permanent, mais enfin je n'ai pas à me plaindre, j'ai un toit
Et ça me suffit. J'ai tout ce qu'il me faut, tout est bien rangé, c'est
Important, car j'ai des rhumatismes. Heureusement, les docteurs sont
Gentils, ils s'occupent bien de moi. La télé est en panne, peut-être
Vont-ils venir la réparer demain, mais ce n'est pas grave,
Car j'ai la radio et la visite de mon fils tout à l'heure.
Mes enfants m'ont fait les courses, car je n'ai pas le courage de sortir
Pour l'instant. Je risque la visite des gérants de l'immeuble oùnous
Étions avant notre installation ici. Ils veulent me voir pour une question
De charges à régulariser à laquelle je ne comprends rien du tout.
Ici, on est tranquille, sauf le bruit de la nuit lorsqu'on veut dormir,
Mais j'y arrive avec les médicaments qu'on m'a donnés. Le jour,
Jai mes amies d'enfance qui sont maintenant mes voisines, elles se
Sont installés en même temps que moi et avec elles, je peux parler
D'avant, de tout ce qui nous est arrivé, à nous et ànotre pays.
Nous, ses enfants, avons fait au mieux pour installer notre mère dans
Cette chambre et maintenant elle nous semble beaucoup plus heureuse
Plus épanouie qu'avant, après tout ce qu'elle a vécu ces derniers mois…
Ici au moins, elle est tranquille et les quelques meubles rassemblés pour
Donner un semblant d'humanité, lui donne de la hauteur, de la dignité,
Car jadis, elle a connu les richesses d'une maison de maître où elle était
Servante et avait pris quelques habitudes de luxe … Nous avons récupéré
Ce reste de pas grand-chose, illusoire certes, pour lui donner l'impression
D'une vie meilleure et aborder ici sa nouvelle existence de retraitée.
Cette femme, j'ai l'impression de l'avoir toujours connue, elle est
Comme standardisée dans le standard des femmes de Chine.Son home
Est comme celui de beaucoup d'entre elles qui passent tout leur temps
À leur travail plus qu'à autre chose. Il faut servir le pays, disent-elles, si
L'on veut le faire grandir, car on ne nous attend nulle part. Elles disent
Faire de la résistance et que sinon, on n'aura jamais rien sur le plan
Économique, social et politique. Nous aimerions amener nos politiques
A penser plus large et avoir de l'optimisme pour l'avenir de nos jeunes.
Moi, je suis retraité depuis peu, j'ai du mal à me passer de mon travail.
J'ai été pendant toute ma vie cordonnier dans une ruellede la ville, mais
Ils nous ont jetés dehors pour tout raser et construire des immeubles neufs.
Tout cela parcequ'ils veulent loger tout le monde dans des cellules de 10 m2.
Bien sûr, c'est mieux de vivre dans la rue, mais enfin … Je me sens ni tout à
Fait bien ni tout à fait mal ici. Ce ne sont pourtant pas les gens qui
Manquent autour de moi, mais c'est trop différent d'avant, je manque d'air,
Je reste à rêver à ma vie de quand j'avais des copains au boulot.
On t'a toujours appelé Ginette, pourtant ce n'est pas ton vrai prénom.
Ton père à ta naissance s'est trompé et en a donnéun autre à l'employé de
L'état de notre provident pays de fous où seul comptait les billets de
Banque, mis dans des enveloppes pour engraisser tous ces salopards de
Fonctionnaires. Mais calmons-nous, calmons-nous, nous ne devons pas
Nous plaindre. N'avons-nous pas de quoi manger à notre faim aujourd'hui ?
Alors qu'avant, nous étions bien malheureux avec ces militaireset ces
Hommes d'État calamiteux, tous remplacés heureusement par ces ordinateurs
Bleus qui gèrent beaucoup mieux notre pays, qui en avait bien besoin…
Nous sommes nés voisins, habitant toujours l'un à côtéde l'autre et c'est
Normal de nous voir maintenant mariés pour la vie dans notre nouveau
Appartement où nous vivons avec nos deux enfants et le chat. Personne
N'est là pour l'instant, mais ils vont venir tout à l'heure après le tennis.
Que Dieu soit avec nous, nous sommes sibien ici, ce qu'il nous manque
C'est une machine à coudre, mais nous espérons ramasser assez d'argent
Bientôt et si tout se passe comme nous le pensons, nous l'aurons
Dans un mois ou deux… Sinon, nous aimerions bien avoir un autre enfant,
Mais pour l'heure, il nous est interdit d'en avoir plus de deux.
Je vous demande de bien remarquer le milieu de la photo. Nous
Avons plusieurs éléments formant en son centre une verticale coupant
La pièce en deux avec une partie à droite comprenant le placard, le
Ventilateur, le buffet et la télé et une autre partie àgauche avec les lits
Gigognes, la table de nuit à tiroirs ainsi que tout le bazar d'un homme âgé
Normalement constitué. Notre œil a été attirépar cette chaise rose faisant
Face au lit, on a imaginé notre homme assis là, pensant àson passé ou à
L'avenir de ses enfants. L'inquiétude se fait sentir à chacune de ses pensées,
Mais heureusement, avant d'aller se coucher, il va se préparer une tasse
De thé comme sa religion le lui permet, à toute heure dela journée.
Je ne suis pas la Margueritte Duras de Chine, mais son frère est venu
Nous voir un jour, il y a bien longtemps de cela. Il nous a parléde
Cette femme et nous a dit qu'elle écrivait des histoires sur notre pays et
Qu'elle s'est donnée toute en servant notre mémoire avecdignité et respect.
Alors, je me dis, pourquoi ne pas la ressembler pour lui faire plaisir,
Maintenant qu'elle est morte et, bien que nous ne la connaissions pas,
Cette dame qui habitait à Trouville sur Mer, nous l'aimons beaucoup
Pour tout ce qu'elle a fait pour nous connaître et aimer par tout le monde.
Lui, a toujours eu une machine à coudre chez lui. Il n'a jamaisvoulu
Travailler comme tout le monde dans les ateliers avec les d'autres
Ouvriers, car il n'aime pas les conflits. De plus, c'est là qu'il est le mieux,
Comme en sécurité, bien qu'au demeurant on ne puisse pasdire qu'il fasse
Fragile ce gars, mais voyez-vous l'image est trompeuse parfois. Sinon,
C'est un homme plutôt jovial, toujours souriant et près àrendre service,
Bien qu'il passe tout son temps à regarder la télé, assis sur son tabouret.
Nous sommes la famille la plus unie de tout l'étage et bien quenous
Ayons deux pièces à nous, c'est toujours ici que nous préférons être
Ensemble. Notre occupation principale est de jouer en permanence
Au scrabble, grâce à ma belle mère, bien qu'elle n'ait jamais fait d'études.
Nos enfants par contre, ils vont tous dans des écoles supérieures.
Nous n'avons pas de dictionnaire, on fait comme on peut, on ne
S'ennuie jamais, d'ailleurs nous n'avons pas la télévision, car
Elle nous mangerait tout notre temps que nous préférons consacrer
À la famille et au scrabble, notre passion de tous les jours.
Tu es la femme la plus adorable qu'il soit, c'est pourquoi ton fils
Est venu t'accrocher ton nouveau ventilateur électrique et posé
Ta montre rose qu'il n'aime pas la couleur, mais enfin il te l'a mis
Tout de même. Il ne vient pas souvent te voir, non qu'il ne t'aime pas,
Mais il a sa femme, ses enfants et ils habitent loin de chez toi. Ils
Ne peuvent pas envisager de te prendre chez eux, car ça risquerait
De faire des problèmes avec sa belle mère, une chipie, avant, elle était
Riche, mais maintenant, elle n'a plus rien, alors elle est insupportable…
Vous remarquerez, mes chers camarades, la manière de vivre de
Cette Jeannette de Chine, tout particulièrement dans le rapport
Qu'elle entretient avec les sacs plastiques accrochés un peu partout
Sur ses murs. Ce n'est pas la seule à agir de la sorte, nous aurons
L'occasion de revenir sur ce thème du sac tout au long de notre
Parcours, mais il est heureux de commencer par elle cette prise
De conscience de l'utilisation de ces bouts de plastique récupérés
Dans nos supermarchés et qui pourrissent notre avenir écologique.
Jim, c'est moi. Je suis né le 22 mars et aujourd'hui c'est mon anniversaire.
J'ai la ferme intention de faire le ménage et de ranger mon appartement,
Mais pour l'instant il fait trop chaud et le ventilateur est en panne alors,
J'ouvre la porte pour faire courant d'air, mais avec les grilles de ventilation
Bouchées ce n'est pas facile… Comment trouver de la force pour faire
Quoi que ce soit ? Enfin, ce n'est pas si important, depuis le temps que ça
Dure. Le bordel, chez moi c'est normal, je suis célibataire et puis je m'en fous.
Même si ma femme m'a quitté, ce n'est pas une raison pourne pas vivre
Heureux, surtout maintenant où je reçois ma bonne retraite sans travailler.
C'est moi-même qui l'ai aidée à récupérer ses affaires pour rejoindre son
Amant, le frère de Jim, mon voisin d'à côté. Je ne suis pas jaloux,
Elle voulait vivre autre chose, elle se sentait moins bien avec moi depuis
Quelque temps, alors, sa perte n'est pas un malheur, mais une certaine
Forme de libération, surtout qu'ici, je suis dans la tranquillitédans ma
Maison, enfin quand je dis maison, je sais ce que cela veut dire…
Moi, j'aurai pu faire autre chose de ma vie, mais voilà le destin en a voulu
Autrement et il n'est pas question de faire contre, ce n'est pas bien de ne pas
Se soumettre à ce qui nous tombe sur la tête, en bien comme en mal.
C'est ce que pensent tous les religieux du quartier. Ils sont nombreux
Ici et ne prennent pas cher la consultation, vu la concurrence. Je me sens
Très bien chez moi, le ventilateur est comme un ami, il m'apporte de l'air
Frais et actuellement j'en ai besoin, car il fait si chaud partout… Mais à
Votre départ, je fermerai la porte, car je supporte de moins en moins de voir
Mes anciens collègues de bureau passer devant nous sans rien bonjour.
Imaginez, vous êtes dans cette chambre et on vous demande de vous
Mettre à la place de cette charmante damehabillée pour l'occasion en
Chien, ainsi nomme-t-on ce costume du dimanche, le matin,
Lorsqu'il faut aller à l'église, tout propre, tout bien pensant.
Vous avez du mal à vous trouver là, dans cette chambre tout seul
Ou plutôt toute seule sans votre mari, sans vos enfants, sans votre jardin.
Vous préférez votre sort au sien, car vous pensez profondément être mieux
Qu'elle dans l'ensemble… Seulement, les choses ne sont pas si simples,
C'est une femme très heureuse, très organisée, elle ne manque de rien,
De rien du tout, sauf peut-être d'un chien, d'un bon p'tit chien.
Vous qui me voyez du bout du monde ou d'à côté d'ici, sachez que si je
Regarde en face pour la photo, je ne peux regarder la téléet ça
Pour moi c'est très difficile, car c'est la seule chose qui m'intéresse
Depuis que j'ai perdu mon travail. Mon fils a tout prit, tout, même la
Maison que nous avions construite de nos propres mains. Il m'a laissé
Le ventilateur et quelques affaires entreposées sur le lit d'en haut,
Il me sert d'étagère pour l'instant, mais un jour ou l'autre, je trouverai
Un travail et j'irai vivre ailleurs avec une très gentille femme rencontrée
Hier dans la rue commerçante des ouvriers de la ville lorsque j'ai acheté
Du riz cuit avec des crevettes à l'intérieur et des légumes cuits aussi.
Elle est vendeuse dans cette boutique et si elle voulait,
Je pourrais être son patron, pourquoi pas ?
De tout temps les hommes ont fait la guerre et reste implacablement
Ces traces à tout jamais ancrées dans nos chairs, nos mémoires,
Douloureusement. À partir de ce constat, nous avons voulumontrer
Ce couple parfaitement heureux malgré le triste sort du mari dela dame
Qu'elle arrive à soutenir honorablement, trouvons-nous, depuis le
Premier jour de leur mariage. Elle ne s'est jamais fait d'illusion sur la vie
C'est d'ailleurs pourquoi dans son esprit, celui-là ou un autre… Pour elle,
La vie n'est pas un bonheur permanent. Lui, il peut encore aller faireles
Courses avec l'argent qu'il récupère en mendiant avec cequi lui reste…
Ce n'est pas honteux, d'autres le font aussi, alors pourquoi avoir honte ?
Que les choses de la vie sont parfois étranges. Cet homme, si banal au
Demeurant, possède chez lui un trésor que personne ne peut découvrir.
Pourtant, cela nous est arrivé lors de la mise en place de notre matériel
Pour la prise de vue de cette photo. Sans le vouloir, nous avons fait tomber
Quelques livres et images du petit meuble vert se trouvant au fond de la
Pièce à droite, et plus particulièrement sur l'étagère du haut. Là, gardez-le
Pour vous, nous avons trouvé trois dessins d'une valeur inestimable, trois
Dessins de la main de Mao. Comment le lui dire sans prendre le risque
Qu'il n'attrapât une crise cardiaque à son âge devant un tel trésor ?
Nous vivons ensemble et pas ensemble à la fois. Elle, chez elleet moi,
Chez moi. Nous partageons le même réfrigérateur-congélateur et c'est
Tout. Pour ce qui concerne le loyer, nous le coupons en deux depuis
Qu'elle touche sa retraite. Moi, j'ai une pension de guerre et j'arrive à
Vivre et à manger tous les jours. Je regarde les gens passer dans le couloir,
C'est comme une rue sauf qu'il n'y a pas la lumière du ciel, c'est toujours
Les néons qui éclairent notre immeuble. Il y a beaucoup d'ouvriers qui
Habitent là, ils travaillent toute la nuit et lorsqu'ils viennent tôt le matin,
Ils sont fatigués, épuisés, ils ne pensent qu'àune seule chose, manger
Un morceau et se reposer vite fait, dormir, et ça, je le vois bien d'ici.
Je suis ce que je suis et jamais personne ne me retirera de la tête
La bonne impression que j'ai de moi. Mais voilà, hier ma femme
M'a quitté en me laissant toutes ses affaires, là en vrac, ainsi que
Celles du bébé que nous avons eu ensemble il y a a deux ans dans un
Moment de grand amour, car on s'est aimé vraiment, tous le savent
Dans le couloir et personne n'a pu le supporter. Mais elle, elle a une
Tendance à aimer tout le monde, sans chercher à savoir si ça
Se fait ou non, alors, elle a dû tomber sur un homme pas scrupuleux
Pour deux sous, c'est fou ça ! mais enfin, j'ai l'espoir de la voir
Revenir, car elle ne trouvera jamais personne d'aussi gentil que moi.
Certains pourraient le considérer comme le Beckett de Chine, mais jamais,
Oh grand jamais, il ne prit la plume pour la création d'une œuvre personnelle.
Il vivote tant bien que mal, comme il peut, en récurant les fonds de casseroles
Quand ils sont récupérables. Maintenant, sa santéest plutôt limite, mais ça
Peut encore aller d'après les médecins. Il a étéprofesseur de philosophie, jadis,
Mais il ne lui reste rien en mémoire de ce temps-là. Actuellement, il consacre
Une partie son temps à l'accumulation d'objets divers, un peu comme s'il
Construisait une oeuvre sans le savoir, peut-être contribue-t-ilpar ce biais,
À l'élaboration d'un nouveau concept qui révolutionnera le monde ?
-Monsieur Chï, vous avez toute votre vie rêvé de vivre ici ?
-Oui, toute ma vie j'ai rêvé de cela, c'est ici que je suis le plus heureux.
-Pourquoi n'avez-vous pas cherché à faire autrement, autre chose ?
-J'ai passé tout mon temps à essayer sans jamais y arriver, alors,
Maintenant je suis là et j'y reste !
-Pour ne pas avoir de courant d'air, vous avez fermé la bouche d'aération.
-Oui, car les mauvaises odeurs de la cuisine de mes voisins passaient par là…
-Et lorsque vous ouvrez la porte, ne les avez-vous pas aussi ?
-Je laisse toujours ma porte fermée à cause de ça, moi, je suis un adepte
de manger peu, mes repas se composent principalement de fromage blanc.
-Je vois des boîtes au fond de la pièce, est-ce votre stock pour la semaine ?
-Oui, c'est là pour l'instant, mais je vais acheter un frigo bientôt.
Nous sommes comme beaucoup de gens autour de nous, des gens ordinaires,
Des personnes sans histoires particulières. Nous nous sommes rencontrés
Lorsque nous étions très jeunes, nous avons fait un beaumariage et nous
Avons eu deux enfants. Maintenant, ils sont mariés et nous avons des petits
Enfants charmants, ils donnent à notre retraite toute la joie, le bonheur que
Tous nous envient dans ce couloir où certains ne savent même pas respecter
Les règles de la vie en communauté comme nous l'avons toujours fait, pour
Arriver là où nous en sommes maintenant, dans la plénitude d'une vie bien
Remplie et surtout de l'amour que nous avons toujours eu l'un pour l'autre.
Mister Ha est un ami à Mister Hi son voisin. Ils sont souvent ensemble, mais ce
Qui les séparent, c'est que Mister Ha n'est pas philosophe pourdeux sous, alors
Évidemment sur le plan de la conversation, c'est un peu limite.Ha, était ouvrier
Dans la métallurgie et a beaucoup travaillé dans sa jeunesse. Seulement, très
Rapidement il a voulu faire silence en lui sans savoir pourquoi. Cherchait-il la
Paix, le divin, comme certains le lui ont enseigné à l'école de sa jeunesse ?
Il nous a dit : - Je sais, je sais, dans vos pays, vous considérez ce que nous
Enseignent nos bouddhas comme du bourrage de crâne, mais vous avez tort,
Pour nous, c'est ce qui fait toute notre force, et puis la tristesse n'est pas un mal,
Nous n'avons pas ces a priori qui vous handicapent tellement !
Nous sommes de réels sportifs, d'ailleurs dans le couloir on est connu
Pour ça. Dès qu'il y a des courses à faire, on fait appel à nous, on ne rechigne
Devant rien.Toujours prêt à servir tout un chacun dans sasouffrance comme
Dans sa joie. Notre frigo est plein de tout ce qu'on nous donne en remerciement
Du bien qu'on fait et c'est ainsi depuis longtemps, depuis le premier jour de notre
Mariage, pas avant. Avant, nous étions comme tout le monde, ni plus ni moins.
Aujourd'hui, notre maison est le bonheur exacerbé. Notre bontéfait autorité, elle
Impressionne, nous avons reçu d'ailleurs la médaille de l'état nous permettant
De ne plus payer d'impôts, car sinon, de toute façon, nous ne pourrions
Plus continuer ainsi longtemps… Nous donnons tout ce que nous avons.
J'ai terminé ma journée de travail et je fume une cigarette. Je sais bien
Qu'il faudra arrêter un jour, je sais, ça me fait du mal,le médecin me
L'a dit, mais pour l'instant, c'est impossible, car ma copine m'a quitté
Pour aller en France faire ses études et moi, je suis coincéici et de toute
Façon, je n'ai pas l'intention de quittermon pays pour nulle part ailleurs,
Je suis né là, je mourrai là, alors elle, elle fait comme elle veut, moi,
J'aimerai avoir un métier différent de celui d'aujourd'hui, mais j'ai l'espoir,
Avec le temps, j'y arriverai et si elle ne revient pas d'ici un ou deux ans,
Je chercherai une autre copine pour me marier et avoir des enfants.
Je sais, je sais, ce n'est pas bien rangé chez moi, mais pourquoi m'avez-vous
Choisi pour la photo ? Je n'ai rien demandé à personne, alors laissez-moi
Tranquille dans mon foutoir à moi. Le ventilateur que vous voyez là, un jour,
Nous ventilera tous et moi avec et vous irez ailleurs pour faire vos sornettes.
On se demande à quoi ça sert tout ça et c'est fait pour les montrer à qui ?
Et d'abord, vous allez me donner de l'argent ou pas ? Moi, j'en ai besoin pour
Vivre, de l'argent, l'état m'en donne trop peu et je n'ai pas d'enfants, alors
N'oubliez pas de mettre quelques billets sur la table, s'il vous plaît.
Je vous préviens je n'ai rien à dire : ma vie c'est riendu tout. Regardez,
Je n'ai rien de personnel et utilise les sacs de poubelles réglementaires.
Je suis en règle avec les factures à payer, je les paye régulièrement et
Il est vrai, j'ai un téléphone, mais c'est mon unique luxe, je me le suis
Offert pour ne pas me sentir trop seul quand je suis sans personne ici.
D'ailleurs quand je dis ça, je dis une bêtise, je suis toujours seul. Avant,
J'étais chef d'entreprise, j'avais des responsabilités sur le dos, ça m'a usé,
À tel point que maintenant je n'aspire qu'à une chose : avoir la paix.
Lorsqu'on est vieille, on s'adapte, on essaye de s'adapter pour continuer
À marcher dans la ville de ces fous malades qui ne pensent qu'à vous
Pousser, à vous écraser avec leurs vélos, leurs motos que j'en ai encore
Mal aux jambes rien que d'y penser. Ici, je peux faire ma lessive et
Personne ne me dérange dans ma vie quotienne, je mange à ma faim,
J'entretiens au mieux mon appartement pour qu'il reste toujours propre,
Je n'aime pas la saleté, le désordre, mais enfin je n'ai pas grand-chose,
Alors le ménage c'est facile, plus facile que si j'avais une famille.
Excusez-moi de vous inviter dans un endroit aussi désordonné, mais
Ça nous sert de dépôt pour le magasin. On est dansla brocante, alors
Il faut avoir beaucoup de marchandise et même du n'importe quoi,
Tout se vend, il suffit de vendre pas cher, sinon, pour l'instant,
Mon mari et moi nous dormons dans la voiture pour faire l'économie
D'un autre loyer, mais heureusement, la voiture, nous l'avons mise dans
Un garage avec une lumière à l'intérieur qui fonctionne toute la nuit,
Comme cela nous avons l'impression d'habiter dans une caravane.
Pour les repas, nous mangeons chez mon frère, il tient un restaurant,
On l'aide parfois pour la vaisselle ou le ménage… C'est normal !
Lorsque je reviens de l'école, je reste un moment dans leur magasin,
Mais au bout d'une heure ou deux, je me lasse et préfèrerentrer à
La maison pour regarder la télé ou faire mes devoirs. Mes parents
Sont moins pauvres que les autres personnes du couloir. Ils ont pu
Louer une chambre à côté de leur appartement, une chambre à moi
Toute seule, ce qui est super, c'est pourquoi je fais tout pourtravailler
Le mieux possible, sauf que pour le rangement, c'est pas tout àfait ça !
Kim ne viendra pas ce soir. Elle a été auprès de sa mère pour une
Semaine, sa santé n'étant pas bonne depuis quelque temps, alors…
Je dois rester seul à la maison pendant ce temps-là. Je vais essayer de
M'occuper le plus possible pour ne pas m'ennuyer. Je n'aime pas
Quand elle n'est pas là, je sens un grand vide dans la maison.
Heureusement, il y a les halles où je travaille beaucoup et àla fin
De la journée, je suis tellement fatigué que je mange, j'écoute un peu
De musique et je dors. On n'a jamais voulu la télé dans notre home,
Nous avons toujours préféré être ensemble, même si on ne parle pas.
Bon, voilà, comme ça c'est bien pour la photo ?
Vous venez un jour où je ne suis pas bien, j'ai perdu ma veste
Avec toutes mes affaires dedans, mon portefeuille, mes papiers,
Mon salaire de la semaine et mes tickets restaurant ….
Je ne sais où je l'ai mise, ma veste, je perds un peu la tête en
Vieillant, j'espère que ça ne va pas aller en s'aggravant. Sinon
Ma santé, elle va pas mal, elle est normale d'après le médecin.
Mes enfants vont bien, leurs affaires sont bonnes et ils ont tous une
Maison et une voiture, alors je suis content pour eux, voilà c'est tout !
Je suis le fondateur d'une grosse société en pleine expansion
Et j'espère avoir bientôt les moyens nécessaires àl'achat d'une villa
Dans la banlieue de notre ville. Nous rêvons ma femme et moi depuis
Longtemps d'avoir un jardin à nous, avec personne autour.
Ici, dans le couloir, il y a trop de monde, une grande promiscuité,
Nous sommes les uns sur les autres, ça gâche notre intimité, mais
Lorsqu'on n'a pas les moyens, on accepte… Seulement, maintenant,
L'heure est venue de prendre la décision de partir pour construire
Ailleurs une nouvelle aventure, malgré les attaches que nous avons là.
Ma vie est là, tout est là, je n'ai rien ailleurs. Toutema vie, je l'ai
Passée dans les rues, dans la foule, à porter sur mon pousse-pousse
Certains hommes riches, d'un point de la ville à un autre, pour
Quelques kopecks. Alors maintenant, j'ai mal partout, je n'en peux plus,
Je vais m'arrêter de travailler et prendre ma retraite. Après quoi,
La cellule ne me fera plus payer le loyer, puisque c'est gratuit ici
Lorsqu'on ne travaille pas. Je ne m'ennuierai pas sans travail, je
M'organiserai, j'ai des amis, de la famille et j'aime jouer aux cartes.
Le massage est mon métier, mais pas seulement, c'est ma passion.
Les hommes, les femmes qui viennent me voir pour se réparer
Un peu sont toujours satisfait de mes prestations. Je suis zen,
Comme disent les occidentaux lorsqu'ils parlent de notre
Philosophie. Comment peuvent-ils comprendre ce qu'il y a
Derrière notre façon de concevoir la vie ? Ici,notre pays est
Bondé de monde, nous sommes une masse, un tout, une famille
Et nous ne devons pas tomber dans le piège que nous tendent
Certains. Nous devons continuer à vivre, comme nous l'avons
Toujours fait, dans le droit chemin de notre tradition.
Lorsqu'on est maniaque, on se demande parfois comment les gens
Peuvent vivre dans un tel bordel, mais enfin prenons de la distance,
Ne faut-il pas de tout pour faire un monde ? Alors, cet homme mérite
Notre respect comme n'importe qui et peut-être plus encore…
Quoique sur ce point, je ne sais si j'adhérerai dans le fond.
Bizarrement, je dois reconnaître une chose, dans ce désordre,
Il y a de l'organisation, tout y est mis volontairement ou non à la
Portée de la main. Quelle est donc la vie de cet homme au sourire
Si froid ? Nous lui avons demandé qu'elle a été sa profession jadis.
Il n'a pas voulu répondre à notre question, nous n'avonspas insisté,
Voulant garder la possibilité de revenir chez lui, dans le cas où
La photo serait à refaire…Nous restons tout de même sur notre faim.
Le dentiste a remarqué ma belle denture. En effet, m'a-t-il dit, vous
Avez la chance d'avoir de bonnes dents, ce qui est surprenant, car
Pour l'ensemble des gens habitant le couloir c'est une pure catastrophe.
Il faut dire, quand j'avais un emploi dans la banque, nous avions
Quelques avantages en nature et particulièrement pour les questions
De santé. Nous pouvions aller voir les médecins quand onvoulait.
La direction ne supportait pas les malades ou les employés n'ayant pas
Une présentation impeccable, ce qui est compréhensible pour le métier
Que nous faisions, toujours en contact permanent avec la clientèle étrangère
Installée dans notre pays pour le business, avec des comptes personnels
Ou de sociétés, d'une importance affolante, alors pour la banque, les frais
Médicaux, vous pensez, ce n'était rien, alors, j'en ai profitéun maximum.
Bonjour,
Voilà la réserve de notre association. C'est là oùnous mettons les dons
Que nous font les huissiers et les notaires après le décès de leurs clients,
Lorsque ceux-ci n'ont pas de successeurs. Nous établissons alors une liste
Des objets offerts et la mettons à la disposition de tous, dansle couloir ainsi
Qu'au rez-de-chaussée de l'immeuble, pour que ceux qui manquentde
Quelque chose n'hésitent pas à nous en faire part. Nous nous efforçons à
Faire comprendre qu'il n'y a aucune honte à demander quelque chose…
Sinon, que voulez-vous que l'on fasse des rebutsdu monde des morts ?
Ancien sportif de haut niveau, maintenant je ne fais plus rien, mais
Plus rien du tout et ç'est comme ça depuis le départ de ma femme. Elle
Est parti avec un autre homme qui avait un chien. Elle a toujours voulu
Avoir un chien à la maison, à la rigueur un chat, disait-elle parfois, mais
Je ne voulais pas de ces saletés chez moi, je suis allergique à tous types
De poils, alors elle m'a quitté un jour sans rien dire, la chienne, alors
J'ai arrêté le sport à ce moment-là tout net, sans savoir pourquoi j'ai fait
Ça, mais voilà c'est ma vie à moi pour l'instant,mais je crois qu'une fille
Dans le couloir cherche le contact, mais pour l'heure je reste seul.
Il y a quelque chose de paradoxal dans cet homme, mais quoi ?
Son regard est franc, son habillement est de bonne tenue, seulement
Son appartement comme beaucoup d'autres ici pourrait être repeint,
Décoré, personnalisé… alors, nous nous sommes posédes questions.
Est-ce un manque d'argent ? Ça n'a pas l'air d'être le cas, est-ce le moral
Pas très enclin aux investissements de cette nature, ou bien y a-t-il chez
Lui tout simplement un manque d'intérêt pour ce qui l'entoure ? Il nous
Paraît comme aveugle de ce qui, pour nous, est triste, presque invivable,
Mais pour lui, avoir un lit est largement suffisant même sans draps
Ni couvertures, le seul meuble qu'il a, lui a été donnépar quelqu'un de
La famille, habitant aussi ici, au fond du couloir près de l'ascenseur.
Nous avons pu lire ces derniers jours dans nos journaux, la statistique
Suivante : vingt pour cent de la population vivent seuls, et le reste,soit la
Très grande majorité, "partage" avec quelqu'un son quotidien. Souvent,
Ils cohabitent en couple, exemple : un homme et une femme, parfois
Avec enfants, mais ce n'est pas toujours le cas. Il existe d'autres types
De familles, deux hommes ou pire, deux femmes partageant le même
Appartement, par commodité, le loyer se trouvant allégé. Ce peut être
Également une maman et sa fille, comme sur cette photo récupérée sur
Le web de l'Internet et mis à notre disposition par un artiste un peu fou.
Mon prénom est Marguerite comme celui de Marguerite Duras.
Elle a toujours été une amie fidèle, me suivant tout au long de ma
Vie, dans les moindres tracas, elle m'a soutenue, malgré que
Je ne l'ai jamais connue personnellement : j'ai lu tous ses livres.
J'aime sa façon de raconter ses histoires d'amour, c'est triste
Bien sûr, mais comment voulez-vous faire autrement avec la vie ?
Elle me fait toujours penser à mes amants d'avant, d'avant que je
Devienne vieille comme maintenant, toujours seule à me faire
Des jus d'orange pour la vitamine C et garder une bonne mine.
Le médecin dit que je n'ai pas à m'inquiéter pourma santé.
Peut-être, peut-être Docteur, mais enfin, vous trouver ça normal
De vivre toute seule sans un mari près de soi ?
Nous, nous n'avons pas ce problème de solitude comme notre voisine
Qui se plaint tout le temps de ne pas avoir un mari auprès d'elle.
Seulement voilà, lorsqu'elle était mariée, elle n'a rien fait pour garder son
Epoux à la maison, le ménage jamais fait, la cuisine rudimentaire, alors,
Lui, nous le connaissions très bien, est parti avec une autre. Nous, non,
Nous avons toujours fait attention à éviter ce genre de problèmes.
C'est fou, ce qu'on est heureux, d'ailleurs souvent les gens sont jaloux
De nous voir l'un à côté de l'autre comme de tout jeunes amants.
La réalité est pourtant là, nous nous aimons vraiment depuis toujours.
Nous avons tout partagé, les enfants, le travail, les soucis, la pauvreté,
Mais jamais, grand jamais nous avons cédé à la colère ou à l'irrespect.
Nous nous disons parfois que Dieu est avec nous… Peut-être ?
Moi, je vis seule et suis très heureuse. Vous pouvez le dire dans votre
Reportage, car j'ai trouvé le bonheur dans mon travail, le tricot. J'aime
Le rouge par dessus tout, les autres couleurs aussi, mais le rouge éclaire
Ma vie du dedans et du dehors. Du matin au soir, je peux tisser ma vie
Comme une araignée sa toile, pour me nourrir certes, mais pas seulement,
Pour trouver un sens à mon existence, rester ouverte au monde,
Aux autres… Ne pas se renfermer sur soi est l'objectif à atteindre,
Nous devons impérativement éviter de faire comme beaucoup dans notre
Monde, à ruminer sans cesse le passé à la recherche d'un temps révolu,
Nous devons reconstruire ici, pas ailleurs, la joie de vivre heureux.
Nina, elle s'appelait Nina. C'est tout ce dont je me souviens. C'était du temps
De ma jeunesse, ma mère nous amenait chez cette parente âgée dans je ne
Sais plus quel quartier de cette ville, dont je ne me rappelle ni le nom, ni
L'endroit. C'était un autre monde, un autre temps, une autre vie probablement,
Mais la seule chose dont je suis certain, c'est qu' il ne s'agissait pas d'un rêve,
D'un cauchemar de gosse, non, c'était là, bien là, bien réel. Nina, assise sur
Son lit tout en bois et dont l'intérieur servait de réserve à ses vêtements intimes.
Je m'en souviens, comme si c'était hier, curieusement, je ne suis sûr de rien …
J'étais chef d'atelier dans une usine de fabrication de moules en métal
Pour la fabrication d'objets en plastique. J'avais sous mes ordres plus
De cinq cents ouvriers et j'ai toujours été respecté, même si parfois j'étais
Très dur avec certains. Heureusement, lesgens ici ne se révoltent pas
Comme dans quelques pays développés où il y a dessyndicats avec des
Langues plus alertes à parler qu'à se taire et à travailler. Nous n'avons rien
De tout ça ici, nous pensons qu'il faut rentabiliser les investissements des
Investisseurs si nous voulons continuer à avancer, pour avoir bientôt, nous
L'espérons tous, pour avoir un appartement un peu plus grand que celui-là…
Nous avons toujours été en avance sur le reste du monde,mais personne
Ne veut reconnaître cette antériorité. Dans les pays riches, plus riches que
Le nôtre, des artistes plasticiens se sont lancés dans l'accumulation d'objets
Pour en faire ce qu'ils nomment des œuvres d'art et les mettre dans des
Musées pour justifier les impôts des pauvres gens qui travaillent et n'ont
Rien demandé à personne. Chez nous, l'accumulation est une deuxième
Nature, nous accumulons tout ce qui est possible et pour cela nous utilisons
Des sacs plastiques récupérés dans nos super marchés et dont le narrateur
Vous a déjà parlé plus haut, mais comme je ne sais pas lire, je ne peux vous
En dire plus, bien qu'il a dû écrire des choses intéressantes vu la personne…
Je suis un homme de glace. On dit toujours ça de moi, je ne sais pas pourquoi
Car je suis un homme comme les autres, avec ses bons et ses mauvais travers.
Il est vrai, je n'aime personne, parce qu'ils sont méchants avec moi, en général,
Alors, je reste froid à tout, je préfère consacrer mon temps libre à penser tout seul.
Je ferme ma porte, car le couloir devient de plus en plus infréquentable,
Tous ces gens qui vont et viennent du matin au soir me donnent le vertige, et puis
J'en ai assez de ces plaintes permanentes, ces jérémiades de vieux retraités.
Ils jacassent comme de vieilles pies sur ce qu'il faudrait faire pour que ce
Couloir soit plus habitable, alors que personne ne fait quoi que ce soit.
Je suis sur le point de partir, prenez votre photo, après, basta, je déménage
Ça fait dix ans que ça dure, basta, je vous dis, ras le bol de ce couloir,
De ces gens, de cette humidité qu'il y a partout, j'en ai marre. Je vais
Maintenant m'installer chez mes enfants en France, ils sont arrivés à
Quelque chose là-bas. Ils ont un appartement dans la ville même avec
Des commerces et tout ce qu'il faut au bas de leur immeuble, d'après la
Lettre qu'ils m'ont envoyée pour m'encourager à venir m'installer chez eux
Définitivement. J'ai hésité un peu, me disant quej'allais être un poids pour
Ma belle-soeur, mais ils m'ont assuré que j'aurai une chambre bien à moi,
Un peu comme ici, alors, je ne vois pas pourquoi j'hésiterai.
Je suis là, je pourrai être ailleurs, pour moi rien n'a d'importance, l'essentiel
Est d'avoir ce qu'il faut pour vivre, c'est tout. Ma vie a commencé dans la
Guerre, alors maintenant nous n'avons pas à nous plaindre de quoi que ce soit,
Nous avons la liberté de faire tout ce qu'on veut et pour nous,les retraités
Du couloir, nous avons assez d'argent pour vivre et ne manquons de rien.
Dans l'ensemble, "Ils" sont très gentils avec nous quand on leur demande
Quelque chose sauf pour la santé : avoir des médicamentsn'est pas facile,
Mais on arrive à en avoir, surtout si l'on a une maladie grave.
Je n'aime pas beaucoup qu'on entre chez moi, je suis un vieux garçon
Et j'ai toujours été comme ça, même lorsque j'étais jeune, j'étais
Sauvage. Malgré ça, je rends quelques services dans le couloir depuis
Ma retraite, je bricole, c'est ma nouvelle occupation maintenant, qu'hier,
J'étais ouvrier dans le bâtiment et rester sans rien faire je peux pas,
Surtout que ma retraite n'est pas bien grosse alors j'ai toujours un truc à
Faire de-ci, de-là, ça m'occupe, sinon, que voulez-vous que je fasse,
Je ne peux passer tout mon temps à regarde la télé ?
Mes parents ont pu obtenir cette chambre pour moi tout seul et c'est bien
Mieux. Avant, j'étais avec mes frères dans la mêmepièce, ils sont très
Jeunes mes frères et pour travailler, c'était difficile. Pour les études, je ne
Crois pas aller très loin… Je crois qu'ils vont me mettre dans une école
De travail manuel, ils disent que je suis fait pour ça, mais moi, je préfère
Le commerce comme mes parents, ils ont pu gagner plus d'argent que
L'ensemble des gens du couloir et si j'ai de la chance et si vous voulez
Bien m'y aider, vous qui me voyez, je rêve d'aller en France pour faire de
L'import-export comme mon oncle qui est là-bas.
Et bien oui, vous me voyez comme je suis, chez moi, certes ce n'est pas
Bien grand, mais grâce à Dieu, de ce que j'ai, je suis heureux, je n'en demande
Pas plus, ça me suffit, j'ai tout, tout sous la main, sauf la télé, je ne sais où la
Mettre pour l'instant, mais je trouverai bien sa place, c'est sûr. Pour l'instant et
Pour quelques années encore, en attendant ma retraite, je travaille toujours
Dans une bijouterie spécialisée dans les pierres pas précieuses…Il est vrai,
Si elles avaient été précieuses, ces pierres, je serais plus riche et habiterai
Ailleurs, mais enfin, que voulez-vous, nous avons déjà la chance d'avoir des
Touristes et ils aiment bien acheter ces pierres, alors pourquoi priver son
Plaisir, ça leur fait des cadeaux pas trop lourds, pas trop cher et nous on vit
Grace à eux, alors je ne me plains pas, je ne me plains pas, je suis heureux !
Vous avez ici l'exemple type d'une famille nombreuse habitant
La communauté du couloir depuis longtemps et n'ayant jamais cherché
À trouver un logement plus grand pour sortir de cette exiguïté, de cette
Promiscuité. Ils ont préféré, et lànous pensons bien qu'il s'agisse d'un choix
Assumé : ne pas s'engager dans une vie plus trépidante, plus orientée sur
Le travail, l'argent… Son épouse et lui, consacrent beaucoup deleur temps
À leurs enfants bien entendu, mais également à des associations constituées
Au sein même de l'immeuble où il y a tant à faire sur le plan de l'humain et
De l'hygiène également. Tous, ici, les apprécientpour leur gentillesse et leur
Générosité bienveillante, contre quoi, ils n'envisageraient jamais de partir en
Vacances et de laisser tomber quelqu'un. On ne sait jamais ce qui peutarriver.
Je suis fier d'être l'un des seuls occupants de l'immeuble àavoir restauré
Tout son appartement du sol au plafond. Je n'aurai jamais supportéde
Vivre dans la crasse comme beaucoup ici, c'est leur problème medirez-vous,
Certes, mais moi non, je veux vivre dans le propre… Sinon, que voulez-vous
Que je vous dise d'autre pour votre reportage ? Moi, dans l'ensemble ça va,
Et vous, vous faites ces photos pourquoi ? C'est pour gagner votre vie ?
Je n'arrive pas à comprendre comment vous êtes arrivéà convaincre tous
Les gens du couloir à se laisser filmer comme s'ils étaient des bêtes…
Désirez-vous une tasse de thé ? Moi, j'en bois tout le temps.
Ces enfants jouent, comme partout dans le monde, avec des jouets faits
Pour eux, généralement en plastique et en couleur, vendus pas trop cher
Dans de vastes centres commerciaux, des échoppes, des bazars ouà la
Sauvette pour quatre sous. Ces gosses, manipulent ces objets avec bonheur
Et acquièrent rapidement ce plaisir tactile qui leur permettra ensuite de travailler
À l'usine, consacrant tout leur temps à la fabrication d'objets utiles à nous rendre
Plus heureux et à sortir le pays de la misère. Notre gouvernement fait tout pour
Élever le niveau de vie de notre peuple, Nous lui en sommes très reconnaissant
En écrivant de bonnes choses sur lui, la preuve …
J'ai mis toutes mes chaussures dans le placard. J'en ai des dizaines de paires.
Ce sont des souvenirs du temps où j'étais comédienne au théâtre et où j'ai pu
Obtenir ce complément de salaire. Ces chaussures, serviront un jour ou l'autre,
À mes petits enfants ou à ceux du couloir, dont les parents sont si gentils
En général avec moi. La vie ici est agréable, pas de gros soucis à gérer, nous
Avons tout pour être heureux et nous le sommes… à peu près. Par contre,
Je le reconnais, pourquoi vous le cacher, je suis très maniaque, je veux voir
Toutes choses à sa place, que mon appartement soit parfait, et ça, parfois
M'occasionne quelques remarques désobligeantes de la part de mes enfants.
Quand ? Je ne sais pas quand mes enfants décideront de tout rassembler
Pour partir d'ici. Il faut s'en aller de ce pays. Nous y sommes très bien,
Mais nous devons le quitter pour être plus riche ailleurs, car la pauvreté a
Ses travers, c'est bon un temps, mais à un moment où àun autre nous devons
Tenter, essayer d'en sortir, ne serait-ce que pour les enfants, leur donner la
Possibilité de faire quelque chose de leur vie. Nous, nous avons
Accepté de travailler dans les usines sans rien dire, on nous aexploités parfois.
Par contre, notre gouvernement est très généreux avec ses vieux travailleurs,
Nous avons tous une bonne retraite et s'il ne s'agissait que de moi, je resterais…
Et, de toute façon, je ne sais pas ce qu'ils vont faire, mes enfants.
Coucou, c'est moi Nini, c'est mon nom, enfin non, c'est comme ça
Que mes copains m'appellent dans le couloir. C'est bien ici, on a
Toujours des amis avec qui jouer lorsque les parents ne sont pas là. Eux,
Ils travaillent toute la journée jusqu'à très tard le soir, car pour vivre
Il faut beaucoup travailler sinon on ne peut pas avoir tout ce qu'on
A chez nous, car oui, on a tout, même deux fois plus qu'il ne faudrait,
Comme dit souvent notre tante, mais elle, elle n'a rien chez elle !
Ma mère préférerait me voir moins bazar, mais moi, vous savez …
Vous avez une drôle d'idée de me mettre dans cette position pour
Votre photo, mais enfin, si c'est votre souhait de me voir ainsi, moi,
Je n'y vois pas d'inconvénient majeur. Je suis nouvellement professeur
De français donnant des cours le matin à l'universitédu centre ville et,
L'après-midi, chez moi, j'enseigne comment bien se tenir en société avec
Des méthodes occidentales. Mes élèves, dans l'ensemble, se trouvent
Beaucoup plus en harmonie maintenant avec leur entourage. Ainsi,
Je pense assurer à notre gouvernement un potentiel d'hommes et de femmes,
En mesure de prendre la relève pour une politique plus révolutionnaire,
Plus adéquat à nos besoins, tout en restant dans la tradition, bien sûr !
J'ai passé toute ma vie dans les cuisines. J'ai travaillé dans plusieurs
Restaurants de la ville et mes patrons m'ont toujours respecté.Je n'ai
Jamais compté les heures : tant qu'il y avait des clients, j'aitoujours été là à
Leur faire des p'tits plats de ma composition, tout le monde adore ma cuisine.
Je me suis tout de suite mis au travail après l'école. Enfant, je n'étais pas
Faite pour les études et ça tombait bien, car mesparents avaient besoin
De moi dans leur restaurant, car nous sommes là-dedans depuis des générations.
Seulement, comme c'est la coutume dans notre pays, lorsqu'on n'est pasmariée,
On n'a pas de commerce à soi. Dans le fond, je ne regrette rien, car cela m'a
Permis d'être une femme plus libre... Voilà, c'est ça mon existence à moi.
C'est la première fois que je pose pour une photo autre que familiale.
Assis comme ça, c'est bon ? j'aurai bien voulu consacrer mon existence à
Des choses artistiques comme vous, mais la vie ne l'a pas voulue ainsi.
Dans notre pays, on accepte tout, j'ai accepté de ne pas réaliser mes rêves.
Je ne voudrais pas vous donner l'impression de quelqu'un de malheureux, car,
Ici, dans notre couloir, tout le monde a tout ce qu'il faut pour vivre, ce qui n'est
Pas le cas dans tous les pays… Regardez chez vous, en occident, vous êtes
Beaucoup plus riche que nous et pourtant vous avez des SDF et ne savezpas
Comment régler ce problème. En fait, vous devez le régler en donnant à tous,
Un petit logement comme celui-ci et un minimum d'argent pour vivre.
Tout le monde le devine en me voyant : j'ai longtemps vécu dans une grotte.
Toute seule, loin de la ville, loin de la famille avec rien à manger ou presque.
Alors que là, dans cette pièce que notre gouvernementm'a donnée, je peux
Vivre normalement et avoir plein d'amies pour parler, mais pas d'hommes.
Je n'ai jamais connu ni de maris, ni d'amants et suis contente quand même ;
Je m'ennuie parfois de ne pas avoir d'enfants, mais comme il y en atellement
Dans le couloir, je me résonne en priant Dieu, et surtout jeprie pour ne pas
Avoir à retourner dans la grotte… Car là, je ne sais pas si j'en survivrais ?
Lorsqu'ils m'ont installé là, les gens de l'immeuble m'ont demandé quelle
Couleur je voulais pour les murs de la pièce. Je leur ai ditvert, mais je
Ne voyais pas un vert comme celui-là, j'imaginais un autre vert, plus agréable à
L'œil, seulement je n'ai rien dit, enfin si, j'ai dit que c'était bien, alors eux,
Ils étaient contents, et moi je vis là dedans sans voir ce vert. De toute façon,
Maintenant, j'ai une maladie, je ne vois pas les couleurs, je vois les formes,
Mais pas les couleurs, j'ai pris l'habitude, c'est çaque de vieillir…
La vie est un peu triste, j'ai tout le temps mal à la jambe,ça me lance des piques.
Enfin, parfois je me dis qu'il y a des gens plus malheureux que moi, alors …
Ma fille Anna n'est pas venue me voir depuis plusieurs jours et n'apas
Téléphoné non plus, je suis très inquiète, car ce n'est pas dans ses habitudes
De ne pas donner de ses nouvelles à sa mère… J'espère qu'il ne lui est rien
Arrivé, je n'ose pas la contacter de peur de tomber sur son mari, lui et moi
On s'aime bien, mais je veux pas les déranger, c'est un couple et ils n'ont
Pas à avoir la mamie sur le dos tout le temps. Maintenant, ils sont peut-être
Parti en vacances, je me dis pour me rassurer, calmer mon angoise, mais
Ce n'est pas ça, il doit y avoir quelque chose, quelque chose entre eux
Qui ne va pas, j'en suis certaine, ma filleme cache quelque chose…
Le 25 du mois est un jour porte-bonheur dans notre pays, la preuve,
Vous êtes là aujourd'hui à me prendre en photo et ça, c'est une chance
Pour moi, car j'ai toujours rêvé de faire l'actrice deroman-photo, j'en lis
Tout le temps. Je n'en ai pas ici pour l'instant, car je viens de les prêter à ma
Voisine du couloir qui s'ennuie tellement depuis le départ de son mari. Il est
Parti avec une autre femme que moi, le salopard, c'était monamant, mais ça,
Elle ne le sait pas, ce n'est pas la peine de l'accabler plus, la pauvre fille !
Moi, je dois faire un régime, car j'ai des formes et pour les photos de nus,
Je pense que vous préférez des femmes plus minces, hein ?
Le karaté est mon métier. Je ne suis pas mariéet n'ai pas de femme.
Je travaille quinze heures par jour et n'ai pas le temps de ranger chez
Moi : je n'y suis presque jamais. Je dors maintenant en permanence à
Mon boulot, c'est pourquoi ici il n'y a pas de lit. J'ai fait installé un
Tatami dans le bureau du président, la nuit, son bureau ne sert à rien,
Alors, je l'utilise. C'est clair, je n'aime pas vivre ici. Après une longue
Journée de travail, je préfère avoir la tranquillité, et puis j'ai de très mauvais
Souvenir de cette pièce où j'avais une entreprise d'import-export qui a fait
Faillite pour des raisons que je n'ai pas encore élucidées. Mais enfin
Ce n'est pas une raison pour baisser les bras, je m'accroche àmon association,
Et fais en sorte qu'il y ai toujours quelqu'un pour surveiller les salles de sport.
Je veux bien vous montrer ma chambre, mais elle n'a rien d'extraordinaire.
Je vis seul, je suis malade et ne tiens pas debout facilement. Malgré tout,
Je reste indépendant, je prends beaucoup de médicaments pour ça,
Je n'ai pas envie d'aller vivre dans un hospice comme ils me l'ont proposé
Il y a un an lorsque j'ai fait une crise cardiaque qui a failli me tuer.
Non, je préfère rester ici, je vois les gens, ils vont, ils viennent… Bien sûr,
Il y a des inconvénients, mais c'est comme partout, la perfection n'est pas
De ce monde, vous n'avez qu'à regarder ce qui se passe à la télé, les hommes
Sont de plus en plus fous, et d'ailleurs on se demande d'où que ça peut
Venir ce désordre ? Moi, je pense que c'est à faute à la télé justement…
Ma fille veut devenir architecte et je ferais tout pour qu'elle réussisse.
Dans ses dessins comme dans la vie elle a le sens de la perspective,
Je souhaite donc la voir se réaliser dans cette voie, car dans la vie
Lorsqu'on fait ce qu'il vous plaît, le travail n'est pas un poids, mais une
Source de bonheur pour soi et pour les autres. Construire des immeubles,
C'est mon métier à moi. Pas de grands bâtimentscomme celui-ci, mais
Des petites résidences pour loger lesgrands diplomates étrangers. Il est
Important de recevoir ces hommes dans de bonnes conditions, car
Pour l'avenir de notre pays, il est capital d'entretenir de bonnes relations
Avec ceux qui ont du pouvoir sur le monde. Maintenant, si elle arrive à
Avoir son diplôme, alors tous les deux, nous pourrions avoir de beaux projets.
J'étais éducatrice en école spécialisée dans le kama sûtra. Cela m'a valu
Le respect de tous dans ma vie professionnelle, mais ici, dans le couloir
Je ne suis pas bien vue : tout le monde considère probablement qu'il s'est
Agît pour moi d'exploiter la faiblesse des hommes pour gagner ma vie,
Ce qui n'était pas le cas, tout le contraire même, puisque mes élèves,
Longtemps après avoir subit mes cours viennent me voir et me remercient de
L'enseignement que je leur ai prodigué dans la pure tradition de nos ancêtres.
Pourquoi venez-vous chez moi ? Je suis très fatigué et n'ai rien à vous dire.
Je reviens de l'hôpital où j'ai subi une opération chirurgicale et maintenant
Je ne sais pas comment je vais pouvoir faire pour continuer à entretenir ma
Maison, surtout qu'il faudrait refaire la peinture du sol au plafond. Avant de
Mourir, je voudrais que ce soit propre partout et qu'on ne dise pas du mal de moi.
Je ne veux pas non plus que l'administration demande de l'argent mafamille…
Elle n'a pas besoin de ça, tellement elle est pauvre. Ah, comme ça c'est triste !
Cette chambre, comme une autre déjà visitée ici même, n'est pas un lieu
D'habitation, mais plutôt de réserve à ce commerçant du quartier. Notre
Assistant a posé la question aux administrateurs de l'immeuble pour savoir
Si c'était normal, ils n'ont pas voulu répondre à cette question, disant qu'ils
N'étaient pas tenu de le faire, surtout à un étranger venant prendre des
Photos, dont on ne voit pas trop l'intérêt pour l'image de notre pays, et puis,
Ont-ils dit, de toute façon à partir du moment où les gens payent leur loyer,
Nous n'avons pas pour habitude de renvoyer quiconque, jamais,
Ce n'est pas dans notre culture, cela relèverait du plus grand des péchés.
Cet homme, nous l'avons rencontré dans le couloir alors que nous déballions
Notre matériel pour commencer notre journée de travail très tôt le matin.
Il nous a abordés en nous demandant pour quelle chaînede télé nous
Travaillions ; nous lui avons dit que nous étions des artistes indépendants
De tous liens attachés aux médias, notre démarche étant de capter le moment
Et l'espace des gens d'ici, reflétant pour nous la réelle condition humaine
Dans son ensemble et valable pour l'humanité tout entière. À ces mots, notre
Homme n'a eu de cesse de nous inviter chez lui pour nous montrer sachambre.
Curieusement, il refusa énergiquement de nous voir photographier son lit,
Pourtant tout neuf, pourtant tout beau. Il nous dit être superstitieux et se méfier
De la jalousie des gens, mais que pour lui, avoir un bon litétait important tant
Pour sa santé que pour celle des femmes qu'il pouvait recevoir dans son home.
Oui, je sais, il est interdit d'étendre son linge dans sa chambre et qu'il y a
Une lingerie dans le couloir pour ça, mais voyez-vous, je n'aime pas y
Aller pour quelques bricoles que je préfère laver au jour le jour, par contre
Pour le linge de mes enfants et mes petits enfants, car oui c'est moi qui m'en
Occupe, évidemment j'y vais et c'est la machine qui tourne, c'est fou ce
Qu'ils peuvent salir avec leur travail. Mes enfants sont tous ouvriers dans
Les nouveaux chantiers pour la reconstruction de la citée, j'en suis très fière,
Ils contribuent ainsi au grand projet de notregouvernement qui a pour objectif
De nous rendre à tous notre dignité, quelque soit notre "caste", comme ils disent
En Inde, pays que j'aimerai tant visiter, mais ça, je sais, ce n'est pas possible !
Vous qui voyez cette image, nous vous demandons de bien observer ceci :
Au fond de la pièce, le cache de la bouche d'aérationsur la droite est décollé.
Nous avons, comme vous probablement, pensé qu'il s'agissait là d'un simple
Accident. Nous connaissons tous ce type de problèmes avec ces collants
Qui se détachent au moindre coup de chaud, de froid, ou d'humidité. Seulement
Voilà, après avoir discuté longuement avec notre interlocuteur, après
L'avoir aidé à entrer dans les zones sombres de sa caboche, il découle qu'il
Ne s'agisse pas d'un accident, mais plutôt d'un acte volontaire lié à la
Perversion de cet homme : écouter les bruits intimes de ses voisins.
Lorsque j'étais jeune, j'avais, comme avec vous ici, posépour un artiste.
C'était il y a très longtemps, et je m'en souviens comme si c'était hier.
Je ne sais plus pourquoi j'avais fais ça. L'homme était un étranger
Et prenait des photos pour un journal américain, c'était
Pendant la guerre et moi j'étais gosse, je ne comprenais rien à ce qu'il me
Disait, il m'avais donné quelques pièces de monnaies, c'est flou tout de
Même dans ma mémoire. Sinon, moi ici, je vis tranquille, je ne connais
Personne dans la ville et c'est très bien comme ça, j'ai tellement eu de contacts
Dans mon métier, alors maintenant que c'est fini, je me repose un peu.
L'homme portait un pantalon gris et une chemise à petits carreaux le jour.
Le soir, après le travail, il ne pouvait faire autrement quede se changer,
Voulant retrouver un peu de son moi, son moi intime comme disent les
Psychanalistes occidentaux lorsqu'ils veulent expliquer quelque chose.
Là, il ne s'agit pas d'explication, mais tout simplement d'un besoin de
Faire une rupture avec la vie de son bureau, où il passe unegrande partie
De son temps avec des gens qu'il n'a pas choisis comme c'est presque
Toujours le cas pour chacun d'entre nous. Sinon, ces dernières années, nous
A-t-il dit, j'ai perdu du poids suite à une maladie grave, mais je fais un effort
Pour manger un peu plus, mais j'ai rarement faim depuis le départ de ma femme.
Nous avons eu beaucoup de plaisir à rendre visite à cet homme. Le blanc de
Ses murs nous a franchement surpris ainsi que la dispositionde ses meubles,
Très différente de celles des autres locataires du couloir. Aussi modestes
Soient-ils en apparence, ils reflètent bien la personnalité de Monsieur Ha,
Comptable dans une société d'import-export, spécialisée dans le mobilier
De belle qualité et située en plein centre ville. Il a pour habitude de ne faire
Venir personne chez lui. Nous avons eu quelques difficultés pour avoir son
Autorisation et qu'il posât pour nous, comme vous le voyez ici, un peu raide,
Certes, mais enfin sans cette photo, nous aurions manqué quelque chose, elle dit
Avec toutes les autres, la très grande diversité de la population de ce couloir.
Notre assistant a beaucoup insisté pour intégrer cette photo à notre travail
D'investigation. Il dit que sans l'homme, une pièce est habitée autrement.
Nous n'avons pas voulu le contrarier cette fois-ci à ce sujet, mais nous
Sommes très inquiets quant au psychisme de notre assistant. Pour l'instant,
Nous devons reconnaitre qu'il nous rend beaucoup de services, alorsnous
le gardons encore quelques temps, mais il va falloir envisager de le remplacer,
Car il est trop souvent en dehors de la réalité, bienqu'on n'ait rien à lui reprocher :
Il ne boit pas, il ne fume pas, il ne se drogue pas …
Mais il a de drôles d'idées parfois.
Je ne sais pas, je ne sais pas au juste ce que je dois faire, mes enfants ont
Quitté le pays pour aller vivre à Paris, en France. Seulement, je n'ai pas
De nouvelles d'eux depuis plus d'un mois et ça, ça n'est jamais arrivé avant,
En général, ils me téléphonent ou m'écrivent, mais là, rien, je m'inquiète,
J'espère qu'il ne leur ait rien arrivé de grave, on ne sait jamais…
Lorsqu'on est étranger dans un pays, on n'est jamais accepté comme quand
On est chez soi. Je n'étais pas d'accord pour les voir partir, j'aurai préféré
Qu'ils trouvent une situation ici, ce n'est peut-être pas extraordinaire,
Mais là-bas, ils doivent le payer très cher de vouloir s'enrichir
Plus qu'il ne faut... Et de surcroît, loin de leur mère, loin de moi.
Vous devez vous demander pourquoi j'ai ces images de belles filles sur
Les murs ? Lorsque mes enfants m'ont quitté, ils les ont laissés là et dans le
Fond ça ne me dérange pas, mais vis-à-vis de vous, ça me gêne un peu.
Je ne suis pas une mère difficile, je laisse mes enfants vivre comme ils
L'entendent. Je ne suis pas comme certaines femmes voulant absolument voir
Leurs fils et leurs filles devenir médecins, avocats ou dentistes. Pour moi ce
Qui compte, c'est qu'ils soient heureux. Quant à moi j'ai mon ventilateur,
Ma télé et ma radio et ça me suffit pour bien vivre les jours qui passent, seule
Dans ma chambre. J'ai l'impression qu'en vieillissant je me replie sur moi,
Mais enfin que voulez-vous, c'est ainsi la vie, faut savoir accepter ce qui
Vous arrive, en bien comme en mal; c'est ce que je me dis souvent.
Lorsque j'étais jeune, nous vivions en famille dans une maison en bois,
En pleine nature, dans la boue et avec une promiscuité cent fois pire qu'ici.
Je ne comprends pas les gens du couloir, beaucoup se plaignent, et
Voudraient vivre dans une maison individuelle ou un immeuble de
Meilleur standing, seulement, ils ne se rendent pas compte que pour
Cela, il faudra payer un loyer plus cher et donc être plus esclave encore
Vis-à-vis du travail et de leur patron, surtout s'ils envisagent en plus
D'acheter une voiture pour éviter les transports en commun et être
En dehors de la foule, de la pauvreté qui est notre lot commun à tous,
Ne l'oublions pas, et de cela, nous ne devons pas en avoir honte,
C'est la condition humaine de toute l'humanité, de toute façon.
Dieu est partout et nous protègedu mal qui pourrait nous arriver.
Je reviens de l'hôpital où l'on me soigne d'une maladie dont je suis
Affecté depuis quelques mois et dont personne ne comprend rien.
On me fait toutes les semaines des injections de calmants, ça me
Calme, mais ça ne me soigne pas et comme me dit une infirmière :
C'est en attendant, mais en attendant quoi et ça, je ne le saurai jamais.
Dans le couloir, je ne connais personne, j'aimerai bien parler parfois
A certaines femmes lorsque je les croise dans la rue ou au marché,
On se regarde, on se reconnaît, mais on n'entame pas la discussion,
C'est difficile pour moi d'être plus entreprenant, car elles sont toutes
Mariées et la jalousie est partout ici... Que Dieu soit avecelles !
J'aurai bien voulu faire des voyages dans la vie, mais le destin nel'a
Pas voulu, je suis toujours resté dans cette ville, depuis ma naissance et
Certainement jusqu'à ma mort. Je resterai là sans avoir visité ce qu'on
Voit à la télévision : l'Europe, l'Amérique, avec tout ce qu'ils ont là-bas,
Leurs richesses qu'on n'a pas, nous, dans notre pays, pourtant notre
Gouvernement fait tout ce qu'il peut pour faire avancer les choses, mais
Nous sommes trop nombreux pour satisfaire les besoins de chacun.
Malheureusement, tout monde dans le couloir ne rêve qu'àune chose,
Avoir plus, encore plus, toujours plus. Ils souffrent tous de la pauvreté
Au fond d'eux, mais ils ont tort, car nous devons au contraire apprendre
Au monde et d'abord à nos enfants, à être heureux avec peu.
Nous aurions préféré vivre dans une maison avec un jardin, mais
Comme nous ne sommes pas riches et ne le serons jamais, on se
Satisfait de ce que le gouvernement nous donne en priant Dieu
Que cela continue… Dans la vie, on ne sait jamais ce qu'il peut
Arriver, avec tout ce que nous avons connu, surtout elle, toute sa
Jeunesse dans la guerre, la misère, la boue... Heureusement,je suis là,
Toujours à la rassurer. Comment ferait-elle sans moi ? Jamais
Je n'ai cherché à connaître un homme ou à me marier. Je ne suis pas
Malheureuse pour autant, j'ai mon travail, mes collègues de bureau,
Les courses à faire et j'entretiens notre appartement même si elle
Continue à s'occuper de la cuisine et à nous préparer du bon thé.
J'ai roulé ma bosse, j'ai fait le tour du monde plusieurs fois. Avant,
Je travaillais dans un cargo de transport de marchandises, alors
Je suis passé d'un pays à un autre et ça m'a rendu plus costaud que
La majorité des gens du couloir. Maintenant, je suis à la retraite
Et j'ai préféré rester ici plutôt que d'aller vivre en Amérique où
Je connais une femme qui m'aime et que j'aime, mais
Seulement, il n'y a pas que l'amour dans la vie, il y a tout le reste.
Bien sûr, si j'étais avec elle, j'aurais tout, la maison, la voiture, le
Total confort sans oublier les chiens qu'elle affectionne plus
Que tout, mais moi, je n'ai pas besoin de tout ça, j'ai ce que vous
Voyez là, ça me suffit bien et surtout, j'ai mes amisd'autrefois.
Je n'ai jamais supporté le travail ailleurs que chez moi, mafamille aussi
D'ailleurs. Elle travaillait dans un restaurant leur appartenant etn'avait donc
Personne sur le dos pour leur donner des ordres. Elle a fait comme elle a voulu,
Mais elle m'a transmis ce handicap, car c'en est un en fait. J'aurai pu avoir
Un poste dans une de ces grandes entreprises internationales implantées
Maintenant dans notre pays, grâce aux efforts de notre gouvernement,
Et j'aurai pu gagner ma vie cent fois mieux que là, où je bricole ce qu'on me
Donne à faire, j'accepte tout, même des travauxsans intérêts et mal payés.
Ma femme m'a quitté il y a un an et j'aurai bien voulu trouver dans le couloir une
Jeune fille la remplaçant. Seulement, ce n'est pas facile, tout le monde se méfie des
Hommes vivants seuls ou dont les femmes les ont abandonnés. Alors, dans ces
Conditions, comment voulez-vous avoir une vie normale comme tout lemonde ?
C'est homme ne voulait pas poser pour nous. Nous n'avons pas insisté et l'avons
Éliminé de la liste des cent protagonistes-acteurs decette grande aventure qu'à
Consisté notre travail de l'exploration d'un couloir parmi des milliers, tous
Identiques, tous répartis dans l'ensemble du pays. Lui, après réflexion, s'est
Adressé à notre assistant lorsque nous prenions en photo l'un de ses amis et a admis
Avoir eu un comportement ridicule et donc a demandé s'il pouvait revenir sur
Sa décision. Nous sommes heureux de l'avoir maintenant ici, car il y a dans
L'expression de ce visage, quelque chose du domaine de l'incommensurable
Difficulté de l'être à vivre son destin, malgré les apparences…
Dans notre pays, nous acceptons avec bonheur ce que nous avons, et
Même si nous n'avons pas grand-chose, nous acceptons, c'est tout. Moi, je suis
Comme on m'a éduqué : j'ai le téléphone, la télévision, un lit et de quoi me
Nourrir tous les jours à ma faim, j'ai aussi des tas d'amis dans le couloir, ceux
Avec qui j'ai partagé le travail pendant des années et puis aussi tous les autres.
Dans l'ensemble, j'ai de bonnes relations avec tout le monde. En général, ils préfèrent
Rester chez eux, avec femmes et enfants lorsqu'ils sont mariés et les célibataires,
Font comme moi, ils vivent seuls et ne se plaignent de rien. Parfois, nous sommes
Plusieurs à rêver à une autre vie, un peu comme dans les films, mais on sait
Bien une chose, ce n'est pas pour nous, nous sommes trop nombreux, trop
Pauvres aussi, même si notre gouvernement fait tout pour notre bien.
Dans cette chambre, nous vivions à plusieurs il y a quelquesmois encore.
Ils sont tous partis en Amérique, unoncle leur a trouvé un travail là-bas,
Mais moi, je n'ai pas voulu tout quitter pour recommencer une nouvelle
Vie dans un pays que je ne connais pas, je n'ai pas comme eux vingt
Ans et j'ai roulé ma bosse jadis. Maintenant, je dois retirer ces lits, ils ne me
Servent plus à rien puisque j'ai retrouvé un travail avec un salaire me permettant
De ne plus avoir de sous-locataires pour payer comme avant le loyeret les
Charges du couloir. Je vais m'organiser autrement, j'aurai plus d'espace à moi,
Mais je sais, je sais, de temps en temps ils me manqueront quand même.
Chez moi, l'essentiel est d'avoir un bon équilibre alimentaire, principalement
Basé sur des repas composés de riz blanc, bien sûr, mais surtout de légumes
Cuits et de bons fruits achetés au marché au meilleurprix. Les oranges sont
Mes préférés d'entre tous pour leurs vitaminesC, car j'ai besoin de beaucoup
D'énergie pour continuer à travailler durementtoute la nuit et gagner ainsi
Tout l'argent nécessaire à mes études de médecine et à aider mes parents au
Chomage depuis si longtemps déjà… Sinon, j'ai une copine avec qui je
M'entends bien, mais nous n'envisageons pas de nous marier pour l'instant,
Tant que nos études ne seront pas terminées, nous attendrons pour nous
Installer ensemble et prendre un crédit pour l'achat d'un appartement commun.
Simone, je m'appelle Simone. J'ai toujours aimé mon prénom, c'est comme
Si je l'avais choisi moi-même à ma naissance… Ma vie aété comme la vie
De tout le monde, mais j'ai souvent l'impression que non, qu'elle aquelque
Chose de particulier, mais quoi, je ne sais pas au juste. Mes enfants et mes
Petits enfants sont très gentils avec moi, ils me gattent plus qu'il ne faut et
Moi de mon côté, j'essaye d'être le plus agréable avec eux, car sinon comment
Voulez-vous qu'ils continuent à s'occuper de moi si je suis comme certaines
Personnes du couloir, tout le temps en train de se plaindre, de geindre
Tout les maux de la terre pour un petit bobo ou pour un rien, de rien du tout.
Hier, par exemple, mon fils est venu boucher la gaine d'aération qui donne
Les odeurs de la cuisine de ma voisine… Je ne supporte plus le riz basmati.
Je suis la dernière de votre liste, j'en suis fière, ravie, heureuse.
Je ne suis en aucune façon l'icône d'un monde idéal, d'une vedette,
D'une star, mais seulement, tout simplement le reflet, l'image d'une
Étudiante comme il en existe partout et qui aspire à faire de son
Mieux pour avancer dans ses études d'infirmière et devenir demain
Celle qui apportera du soulagement à ceux qui souffrent. Pour l'instant,
J'attends une bourse du gouvernement, elle me permettrait de ne plus
Avoir à travailler chez Mac'Donald une partie de la journée. J'aimerai
Consacrer plus de temps à l'hôpital : c'est là qu'on a le plus besoin de moi.
Il y a trop de misère dans notre pays, je ne sais si c'est ainsi ailleurs,
Mais nous devons impérativement venir en aide à tous, sans exception.
Cela est ma devise, et si vous pouvez passer le message, merci beaucoup.