Raymond Depardon

 Profils Paysans (film)

 L'approche.

 

 

Pour créer une oeuvre, il faut du temps, beaucoup de temps,

Mais il y a toujours un début et une fin, il en est ainsi

Depuis la nuit des temps.

Les premières images de ce film de Depardon "Profils Paysans"

Représentent les éléments d’une route, nous sommes en voiture

Et allons visiter des paysans de toute sorte, de toute nature,

Du moins c'est là notre projet.

Cela se passe dans le centre de la France, en Lozère.

La première dame convoquée pour le film est plutôt âgée

Elle invite au respect, je ne sais pourquoi je vous dis ça ?

Ce doit être ses cheveux blancs. Elle vient s'asseoir

Sur sa chaise en osier posée là devant cette table

À la toile cirée des années cinquante.

Un poêle à charbon et un canapé composent un coin séjour

Au centre de cette cuisine rustique. La vieille dame 

A quatre-vingt-cinq ans, elle est veuve et vient de perdre son fils

Roger, soixante ans, agriculteur, mort de la maladie de Charcot.

Aujourd'hui, elle attend son voisin pour parler en

Occitan avec lui. Succession de plans fixes, l'homme est là,

Tous deux posent leurs coudes sur la table

Et conversent tranquillement, mais leurs paroles

Ne sont pas reconnaissables pour le quidam que je suis,

Pourtant nous sommes bien en France,

C'est donc la preuve que l'on peut communiquer autrement,

Avec d'autres mots, étrangers aux nôtres...

C'est con ce que j'écris là, mais cela n'a aucune importance

Puisque mon seul objectif est d'écrire, même n'importe quoi,

À partir du déroulement des images de ce film de Depardon.

 

C'est donc dans les Cévennes, et là les gens parlent deux langues

L'officielle et celle du pays. Devant la caméra,

Ils montrent un peu de leur intimité,

Commentaires off de l'auteur à la voix chaude, prévenante

Du gars qui sait de quoi il cause… T'as intérêt Raymond

Si c'est toi qui tiens la Caméra !

Horrible est cette étable vide désaffectée, elle me fait penser

À des abattoirs, à des camps de concentration,

Et puis ces deux personnages évoluant sur leur territoire,

C'est ça leur vie, leur lien au monde. Elle, tremble de la main

Ce sont des paysans avec leurs préoccupations,

Mais comme ils sont trop vieux, ils envisagent de céder

"L'affaire" à quelqu'un d'autre, à un jeune. Plan suivant,

À Grizac, un homme nous reçoit chez lui,

Il a un pansement à l'oeil droit,

Nous sommes dans sa vieille cuisine, il boit son café…

Je vous laisse imaginer la pièce, n'ayant aucune envie

De vous la décrire, soit par manque de volonté, soit

Que j'en suis incapable tout simplement,

Tant de gens peuvent le faire mieux que moi,

C'est comme pour la peinture,

Je ne vois aucun intérêt à représenter quoi que ce soit,

Seule l'abstraction m'apparaît possible en ce domaine, c'est

Mon avis de peintre, mais revenons à notre bonhomme

De quatre-vingt-cinq ans, agriculteur à la retraite, il a encore

Des vaches et des génisses, j'irai voir un jour

Dans le dico la différence entre ces deux types d'animaux,

Vaches et génisses, sauf que je ne mange plus de viande

Depuis belle lurette. Voilà, il a fini son café,

Sa main de travailleur enserre ladite tasse et tout à coup

Frappe avec sur la table impulsivement comme pour dire :

Monsieur le cinéaste de mon cul, passons aux choses sérieuses

Avec votre caméra qui me regarde

Comme si j'étais une belle femme nue.

Il se lève et sort du champ, la cuisine devient déserte.

Plan suivant, nous nous trouvons dans un tableau,

Arrêtons-nous sur cette image et observons la composition

Du metteur en scène, à moins qu'il n'en soit rien, et acceptons

L'idée mes amis qu'ainsi vont les choses de la vie,

Le chaos du hasard. Op ! on change d'endroit, on se trouve au

Vilaret, ancien hameau où vivent quatre personnes :

Raymond, Marcel Rivière et leurs neveu et nièce,

Alain et Monique Rivière. J'éviterai ici de répéter bêtement

Toutes les bonnes informations données par Depardon.

J'essaye d'exister selon mes possibilités, et si elles sont réduites

À cette activité d'expérimenter l'écriture, la mémoire peut

 Au détour de je ne sais quel événement, m'offrir

Quelque chose d'intéressant à explorer. Plan fixe sur la cuisine,

Il est sept heures du matin, nous sommes en hiver

Et Raymond Privas soixante-quinze ans se montre

En train de préparer son café, allume le gaz pour chauffer l'eau,

Plan suivant, la casserole n'est plus sur le feu

L'homme vient vers nous, gros plan. Même scène

Une demi-heure plus tard avec son frère Marcel
Quatre-vingts ans célibataire, il prépare à son tour son café.

J'aime beaucoup au cinéma les plans fixes, mais là

Nous regardons avec l'œil bien vif du cinéaste-photographe,

Quelque part en effet, nous sommes ses yeux.

 Quinze minutes plus tard, Alain Rivière, quarante-quatre ans,

Vient à son tour pour ce rituel matinal.

Lui, n'est pas à la retraite, il travaille à la ferme depuis

L'âge de dix-sept ans. Marcel accompagne Alain et boit

Un café avec lui. C'est un bol ordinaire dans lequel on a mis

Une goutte de lait, ils discutent, mais de quoi ils causent,

Surement est-ce de choses ayant trait au travail à la ferme ?

Conversation ordinaire comme le bol, ordinaire,

Mais conversation authentique. Monique apparait alors,

Quarante ans, célibataire et soeur d'Alain,

Elle est la dernière à préparer son café.

Chacun de ces quatre protagonistes a son heure à lui de se lever

Et sa façon de faire sa boisson du matin, c'est peut-être ça

Au fond la liberté, comme quoi il n'est pas nécessaire d'être

Professeur de philosophie pour s'en rendre compte,

Vive la liberté des petits matins !

Tout en regardant ces personnages discuter, mon esprit s'égare,

Cela arrive de plus en plus souvent, ce sont les signes

Avant-coureurs du vieillissement de mes cellules,

De mes neurones. Arrêtons-nous là un moment.

J'imagine une classe où le maître d'école proposerait

À ses élèves de faire exactement ce que je fais là :

Regarder un film, l'arrêter toutes les cinq secondes pour y noter

Ce qui est vu, ou ce qui passe à l'esprit, ou encore

Toute autre chose sans aucun lien avec le film, l'essentiel,

De mon point de vue, c'est l'après, après ce travail d’écriture,

Lorsqu'on fera la lecture à hautes voix des écrits

De tous ces élèves de la classe, texte après texte,

Pour y constater l'énorme diversité

Des matériaux ainsi produits à partir du même film.

Dans la ferme, nous ne sommes pas à l’école, les boeufs

Sont la réalité, il faut les entretenir tous les jours

Dans leurs boxes à chevaux en béton.

Je vois un troupeau, des génisses avec un seul taureau,

Mâle producteur de semences, permettant à ce petit monde

D'humains de vivre, c'est-à-dire de manger, de boire

Et de payer ce qui est à payer... Jusqu'à quel âge travaille-t-on

Dans ce métier de paysan, d'agriculteur ?

J'ai posé la question, on m'a craché au visage :

On s'arrête lorsque le corps n'en peut plus.

Ces gens-là monsieur, lorsqu'ils s'adressent aux animaux,

Ils emploient une langue bien particulière,

À les entendre on pourrait les prendre pour des débiles,

Car pour les pékins moyens que nous sommes,

Parler tout seul ou parler à son chien ce n'est pas la même chose,

Trop souvent un chien est assimilé à un être vivant comme

Toi et moi, mais pour moi un chien est un chien, pas un homme.

Le paysan donne à ses moutons de la paille à manger,

Tout en criant ce son effrayant : " Yé-yé-yé "

Très proches des sons de nos cauchemars,

Enfin si les rêves font du bruit ?

En fait, ce ne sont pas des moutons, mais des brebis,

Il en a quatre-vingt-dix environs. Retour plan fixe sur la table

Mise en place pour le repas, sur la toile cirée jaune sont posés

Quelques verres monoprix, et pour rappeler la toile de fond

Un bol jaune avec à l'intérieur une purée de pommes de terre

Et à côté, une assiette de viande bien rouge.

Ces gens ne sont pas végétariens comme les bonnes personnes

 Que je croise au Végé sympa de la rue Delambre à Paris...

Une bouteille de vin à moitié vide, millésimée,

L'image  n'est pas assez nette pour en lire l'année,

Un pain blanc, symbole de la France profonde dans ce qu'elle a

De meilleur, et notre personnage de roman,

Ce paysan pur souche, signé Raymond Depardon apparait alors

Comme une présence physique ne pouvant rien inspirer

De sexuelpar exemple à quiconque de normalement constitué.

Alors, ça mange, ça mange,

Comme partout dans les campagnes du monde entier.

Et dans les villes est-ce tellement différent ? Aujourd'hui

Les repas pris en famille se font rares,

Chacun est occupé dans son petit monde...

Et ça coupe le pain avec une main pleine de doigts

Dont un en souffrance est enrobé d'un sparadrap, mais l'oeil

Reste toujours vif et les joues bien rouges sang du vin de table.

Chez nous, les dégâts de cette boisson des dieux

N'est plus un sujet tabou, mais voir la dégradation de l'homme

En train de se décomposer, n’est pas ragoutant.

En attendant, on continue à manger, à boire, et pour le reste

Nous nous tiendrons à taire ce qui n'est pas montré dans le film.

Dehors, il a neigé. Une battisse de pierre contraste

Avec le bâtiment nouvellement construit.

L'homme traverse son domaine pour aller faire quelque chose,

C'est ça l'homme, il va d'un endroit à l'autre,

Ça bouge tout le temps, et le revoilà vociférant ses « yé-yé-yé »

À l'intention de ses brebis pour les avertir de sa venue,

C'est reparti pour un tour, heureusement le plan s'arrête là.

Le suivant nous met dans une situation de voyeur.

La vieille dame, propriétaire des lieux est face au jeune couple

Devant prendre la relève, cette intimité est dérangeante,

Les protagonistes n'ont presque rien à se dire et pourtant

On continue à les filmer comme des bêtes de cirque.

La jeune dame a pour nom de famille Deleuze, je la regarde,

Rêvant d'y déceler quelques traits rappelant l'air coquin

Du Maître ; non il n'y a rien, rien de rien, ce doit être une autre

Branche dans l'arbre généalogique de la famille Deleuze.

Pour la vieille dame c'est le moment de lâcher prise,

Mais il est difficile de se défaire des choses qui vous entourent,

Le moindre évènement prend une importance folle,

Un peu comme s'il vous filait entre les pattes, vous mettant

En face de votre propre réalité. Alors les jeunes négocient,

Mais qu'y a-t-il donc à négocier ? Elle est d'accord sur tout,

Sur presque tout, mais garde la tête haute, histoire de dire

Je ne baisse pas les bras, j'ai encore mon mot à dire...

 Alors elle conseille sur les vaches, sur les vaux, et eux,

Le couple, lui réplique qu'il leur faut des aides de l'état

Pour une installation plus confortable...

Plan suivant, l'homme au bandeau sur l'oeil est assis

Face à une jeune fille au foulard rouge, la fenêtre laisse entrer

Une lumière magnifique, contrejour idéal pour une photo.

Louis a été opéré, sa voisine Monique est inquiète pour lui

Elle vient lui rendre visite, car elle le sait seul, âgé maintenant

Et sans personne à s'occuper de lui. Mais comme toujours,

Si elle est venue pour lui apporter du réconfort, elle en profite,

La garce, pour se plaindre de manquer de bois,

Alors que lui ne sait qu'en faire…

Dans ma tête, tout est confus, j'entends des mots, des phrases

L'agriculteur et le boucher discutent le bout de gras au sujet

Des agneaux achetés, les bêtes, elles sont bien plus belles

Aujourd'hui qu'avant... Devant la maison de pierres,

À l'extérieur, la caméra est fixée au sol pour nous montrer

Une route où défilent en permanence des voitures

Sur un sol mouillé direction de "Le Monastier",

C'est indiqué à 23 Km.

Dans une cuisine rustique, un homme, paysan

Depuis le jour de sa naissance, verse du lait chaud

Dans une casserole en inox, puis dans un bol, bol me rappelant

Mes joyeuses colonies de vacances, du temps de mon enfance,

Du côté du Massif central, avec cette odeur de lait trop frais

À peine sortie du pie de la vache le matin même,

Que ce doit être un régal pour celui qui aime ça, moi,

Ça me donnait envie de vomir toute la bile accumulée

La nuit dans ce dortoir loin de ma mère...

Le lait passe de la casserole à la tasse jusqu'à la dernière goutte,

La fourchette retient la fine pellicule de lait.

Le bol est plein à ras bord, il a mis deux sucres et touille le tout

Avant de le boire par petites gorgées tant la boisson est chaude.

Il avait préparé ses deux tartines de pain beurrées

Avant l'arrivée de l'équipe de tournage.

Il trempe la première dans le bol et la porte à ses lèvres.

Paul a 55 ans, il est célibataire et travaille à la ferme,

Depardon est là de l'autre côté de la table,

Sa caméra sur un trépied filme,

Est-il seul ou accompagné d'une équipe, on n'en sait pas ?

Mais lui, ce paysan, fait comme s'il n'y avait personne et continue à prendre son petit-déjeuner

Comme tous les matins, il fait comme si, il fait comme font

Les comédiens lorsqu'ils répètent plusieurs fois un même plan,

Il s'adapte au contrat établi à l'avance avec le cinéaste, avec

La société de production qui paye la prestation ou ne paye rien.

Nous aurons l'occasion de revenir sur cette faculté d'adaptation

Commune à tout homme, ce thème cache une part d'ombre

De la mécanique humaine, et qui, dans certaines situations,

Peut nous mener n'importe où... L'acteur se montre

En train de déglutir sa tartine, intrusion dans son intimité,

On le sent complice dans ce jeu, qu’elles en sont les enjeux ?

Il ne regarde pas la caméra, mais l'extérieur, il a le regard fuyant.

On change l'appareil de place, une lumière forte et crue

Vient de la fenêtre, elle éclaire ce fauteuil bleu en skaï, récupéré

Surement dans une décharge comme tout ce qu'il y a ici,

La machine à laver, la cuisinière, l'armoire, la table, les chaises.

Les murs n'ont pas été peints depuis un demi-siècle,

C'est sale partout, mais de grâce, ne lui jetons pas la pierre

À ce pauvre homme, on s'habitue à tout, même à ça.

Une fois le bol vidé, il en racle le fond avec une cuillère à soupe,

Ça me rappelle la vie ordinaire de Jeanne Dilman

(encore Delphine Syrig) de Chantal Akerman,

Cette vie faite de répétitions quotidiennes, parfois

Insupportables, au point d'avoir peur de perdre la tête

Devant tant d'absurdité. Il sort, dehors le crachin

Donne l'atmosphère voulue par le metteur en scène,

La photo est belle, un chien entre dans le champ,

Sortant de sa lucarne à chien. Attendait-il la sortie de son maître

Comme tous les matins à la même heure ? Probablement,

Tout homme a ses habitudes et il n'y a aucune raison

Que ce chien n'en eût pas.

Tout à coup, c'est fini, on passe à un autre bonhomme recevant

Un visiteur dynamique et plein d'allant,

Ce doit être un représentant de commerce…

La femme de notre paysan est là, assise à ne rien faire,

Alors le mari, jouant son rôle de mâle, lui demande

De préparer le café, juste avant d'aborder les affaires.

L'autre est un marchand à bestiaux. De la négociation, le paysan

Connait la musique, la tête haute, il prépare son interlocuteur

À lui acheter ses bêtes au meilleur prix. Il les lui montre,

Lui donne ses prix, seulement l'autre n'a pas l'air

De vouloir se laisser faire. Alors s'établit

Entre nos deux hommes malins une relation forte,

Très proche, en apparence, à de l'amitié. À se demander si

Dans l'amitié il n'y aurait pas quelque chose de semblable
Où se confondraient et l'intérêt et l'affect...

Pour ce qui est de l'amour, je vous laisse seul juge,

Ne voulant en aucune façon profiter de la situation

Pour verser ma bile dans la cafetière de ces gens bien charmants.

Très drôle plan suivant,

On voit ces deux hommes sirotant leur café, et tout à coup,

Derrière le visage bon enfant du maître de maison, dans le fond,

Comme une chatte, sa femme sort son petit minois pour voir

Si la caméra filme toujours... Pendant qu'ils discutent entre eux,

Elle, de temps en temps, met son grain de sel

Confortant la parole de son mari pour aider la négociation.

Un paysan maîtrise toujours son petit monde, il ne se laisse pas

Daire comme ça, ou alors, il faudra y mettre des formes...

Long silence à l'annonce du prix que l'acheteur est prêt à payer,

Le théâtre de la vie a ses règles, on s'y conforme ou on meurt.

À ce prix-là, la vache, on la garde, on verra à la mettre en vente

L'année prochaine pour la remplacer,

Mais l'autre tenace, l'embobine, parle d'échanges,

Je te donne ça, et toi tu me donnes ça et on est quitte...

Pour cette fois-ci rien ne sera possible, les prix de l'un

Ne conviennent pas à l'autre, on a resservi le café,

Les tasses sont à nouveau pleines, mais on continue à jouer

Sur les limites, on fignole ses semblants d'indifférence,

On avance les pions, l'excitation du jeu vaut son pesant d'or,

C'est pourquoi depuis la nuit des temps les hommes s'adonnent

Avec tant de plaisir à la confrontation, à la guerre,

Dont le seul but est toujours de "baiser l'autre".

Aujourd'hui, rien n'a donc été possible,

On se sépare amicalement, mais l'on a posé des jalons

Pour la prochaine fois.

Nous voilà transportés chez les Desfond avec deux vaches

Dans l'étable ne donnant pas l'impression

D'être d'une grande propreté. Nous sommes en Ardèche,

Le paysan reçoit un gars qui veut acheter je ne sais quoi,

Sur la table une bouteille de vin, deux verres,

L'acheteur sort son carnet de chèques, fait son billet, le signe,

Il est au prix qu'il veut payer l'animal alors que le vendeur

N'arrête pas de dire non, et là encore, la femme dit :

C'est toutes les fois pareilles...

Tu veux pas mon chèque, tu vas le regretter tu verras,

Je le range, allons, allons, dis-moi oui !

Je suis au bout du rouleau, pas à ce prix, il s'en va,

Prend la voiture, alors oui ou non ? je veux cent francs de plus,

Je veux pas, tu t'entêtes, tu vas le regretter. Plan suivant,

L'acheteur met la bête dans sa camionnette,

Et ça continue à discuter, on a sorti le Ricard pour fêter

Cette mauvaise transaction, l'acheteur a le sourire,

Le paysan finit par se marrer. Plan suivant, paysage digne

D'un tableau de maître, au loin une ligne d'horizon,

Des montagnes, le ciel est gris, les nuages tristes, le sol humide,

C'est notre campagne, la France profonde. Retour chez la vieille,

Elle discute avec le couple devant prendre la succession,

Ses yeux coulent, la jeune dame porte un jeune enfant

Dans ses bras et l'homme un tee-short Volvic sur le poitrail.

J'apprends qu'ils sont là depuis neuf ans déjà.

Ça me paraît tout de même bizarre que Depardon ait filmé

Une séquence il y a neuf ans et maintenant la suite, mais

Passons ce détail. Le gosse se nomme Sylvain, Sylvain Volvic,

Futur paysan avec son troupeau de quarante vaches...

Vient ensuite, bien cadrée, une étable avec trois piliers à droite

Et trois à gauche, un homme, pas un cow-boy, enjambe

Une rampe, s'approche d'une vache affaissée à même le sol

Alors que ses consoeurs sont toutes debout

Sur leurs quatre pattes. Il la bouscule, lui donne

Des coups de pieds, elle ne réagit pas, est-elle morte ? Non,

Au bout d'un moment elle se relève, lui c'est le jeune homme

Volvic avec son costume de travail, bleu de la tête aux pieds.

Retour à l'homme à l'oeil malade, il porte un pansement

Rond au milieu du visage, reçoit aujourd'hui un autre paysan

Et de l'autre œil regarde son monsieur en se demandant

Comment je vais l'avoir, ce p'tit ? On parle de vin,

D'où qu'il vient, de comment vous le trouvez ?

Il dit cette réplique géniale : c'est du vin propre,

Maintenant les choses propres sont rares mon gars,

Le vin faut pas le trafiquer pour qu'il soit bon...

L'autre est vétérinaire à Florac qui vient pour éliminer

Un parasite rodant dans le secteur. Il est bien sympathique.

On continue à parler de vin bien que les verres soient vides,

Car le vieux n'en boit qu'en mangeant, jamais entre les repas,

Le vété a des airs de maître d'école, gentil, poli,
Il prend le temps. Parfois, de longs silences s'installent,

On ne sait pas de quoi parler, mais qu'importe,

Ça vient tout de même... Il est surpris que pour toutes ces vaches

N'aient pas de taureau. Alors on se demande,

Si l'on n'a pas envie d'avoir un taureau dans son étable ?

Il y a l'insémination, ça marche bien, ça l'insémination,

Mais peut-on choisir le mâle donneur ?

 

Le quidam des villes, lorsqu'il va acheter son litre de lait

Ou son kilo de barbaque au super marché du coin,

Se doute-t-il de ce qu'il se traficote sur son dos ?

Le choix de ces paillettes n'est pas une mince affaire.

J'apprends que si l'on procédait de cette manière pour avoir

Des vaux, il n'est pas exclu d'avoir des surprises, même

Qu'une fois, une bête, à peine sortie du ventre de sa mère,

Eut une anomalie au nez et n'a vécue qu'une semaine,

Comme quoi les paillettes c'est pas la meilleure solution.

Pour avoir de bons veaux, rien ne vaut un bon taureau,

C'est ce qui découle de leur conversation. Depardon,

Photographe parfait, nous montre une étable, le plafond est bas,

Une seule ampoule éclaire ce tableau de Rembrandt.

Le vétérinaire traverse l'écran rapidement, puis revient

Au centre de la toile pour nous éblouir de son tablier

Bleu de paysan bleu, tout à coup, il se retourne,

Regarde la caméra, comme surpris qu'elle soit encore là,

Il se sent pris au piège, se rappelle sa présence ennemie.

Devant la bouteille de vin et le broc à eau,

Le vétérinaire étale des enveloppes pleines de médicaments,

Pour les bêtes évidemment, ainsi que des formulaires

À remplir pour la conformité assurant à tous une bonne viande,

Bien mangeable, pas avariée, pas empoisonnée.

L'homme prend son temps avec son client,

Lui remplit les papiers avec soin,

Ah, si nos docteurs étaient le plus souvent comme ça,

S'ils prenaient toujours autant de temps avec nous,

Ils feraient faillite à coup sûr. Hum, hum !

 

Pour faire un film comme celui-ci, tu plantes la caméra

Sur un trépied, tu mets de la lumière pour ne pas faire triste,

Et tu cliques sur le bouton, ça marche,

Et les gens se laissent filmer en train de vivre leur quotidien.